La fille au bracelet – Un drame de Stéphane Demoustier
Lise a 18 ans, elle vit dans un quartier résidentiel sans histoire et vient d’avoir son bac. Mais depuis deux ans, Lise porte un bracelet électronique car elle est accusée d’avoir assassiné sa meilleure amie.
Entretien avec Stéphane Demoustier
Le premier plan du film ne laisse rien présager de ce qui va suivre…
Ce premier plan a été tourné en été, quatre mois après tout le reste. C’est peut-être l’unique plan d’un horizon ensoleillé pour cette famille, et surement la seule fois où ils seront tous réunis dans un même cadre. Je voulais une image d’Epinal, celle d’un temps heureux mais furtif, puisque la police apparait très vite à l’écran, et vient rompre cet instant fragile. Il était important que cette scène contraste en tout avec la suite. Qu’on ressente la bascule avec ce jour où tout s’écroule.
Vouliez-vous, à travers l’autopsie clinique d’un procès, aborder les mœurs de la jeunesse d’aujourd’hui ?
Je voulais regarder cette jeunesse sans la juger. Or dans une affaire judiciaire, tout est exacerbé et le procès agit donc comme un miroir grossissant des rapports intergénérationnels. L’héroïne représente l’altérité absolue pour moi puisque c’est une femme et une adolescente. C’est pourquoi j’ai construit le scénario autour du mystère que représente à mes yeux cette jeune femme. C’est bien sûr ce qui m’intéressait. A travers ce portrait en creux, je voulais parler de la famille. J’ai trois enfants, beaucoup plus jeunes que mon héroïne, mais j’ai remarqué que très vite la question de l’altérité se posait. A qui a-t-on affaire ? On a toujours l’impression de connaître ses enfants mais l’évidence apparaît inéluctablement : ce sont des êtres autonomes qui nous échappent de plus en plus.
Comment avez-vous construit le côté judiciaire du récit ?
J’ai passé du temps en cour d’assises pour assister à des procès, m’en inspirer, et être certain de coller au maximum à la réalité. Je ne voulais pas tomber dans une vérité documentaire, mais il m’importait que ce soit crédible. Le scénario fini, je l’ai d’ailleurs fait relire par des juges et des avocats.
La mise en scène est beaucoup moins mouvante dans le tribunal qu’à l’extérieur…
La caméra épouse le point de vue des parents. L’expérience qui est proposée au spectateur, c’est celle de vivre un procès. Comme le ferait un juré. Dès lors, je ne voulais pas créer de mouvements artificiels. C’eût été superflu car le procès se suffit à lui-même. Lors d’audiences auxquelles j’ai assisté, j’ai remarqué à quel point le récit d’un témoin pouvait être captivant. Le pari du film, c’était de restituer cela, cette expérience du procès. Cela engage l’image, les cadres, mais aussi le son. Car je voulais faire un film qui donne à voir par la parole mais qui impose aussi ses silences, d’autant plus notables qu’ils agissent en contraste avec le régime du procès qui fait constamment la part belle aux discours.
A propos de silence, pourquoi Lise ne s’exprime-t-elle pas pour se défendre ?
Lise ne se conforme jamais à l’attitude que l’on attend d’une accusée. Cela peut être dû à sa personnalité, cela peut-être aussi une forme de protection, l’expression d’une vulnérabilité. Chacun interprète ce silence différemment. Il faut garder à l’esprit que c’est avant tout une adolescente et le mystère de cet âge reste entier.
Comment avez-vous choisi Melissa Guers, dont c’est ici la première apparition au cinéma ?
Melissa a répondu à une annonce que nous avions postée sur Facebook, car je cherchais une jeune fille qui n’avait jamais tourné. Je l’ai vue en tout début de casting et elle est apparue comme une évidence. C’est la seule qui, dès le début, supportait les silences. Elle avait une intensité qui détonait. Sa personnalité allait enrichir le personnage. Cette impression ne s’est jamais démentie.
Elle avait l’instinct du jeu et nous l’avons vue devenir actrice au fil du tournage. Au début, elle était totalement consumée par le rôle, au point de ne plus en dormir. Petit à petit, à force d’observer ses partenaires, elle a compris qu’il y avait une distance à tenir et que cela n’empêchait pas la vérité de son interprétation. Elle est devenue très proche de l’actrice qui jouait de son avocate, Annie Mercier, qui agissait pour elle comme une figure protectrice sur le tournage.
Et le choix de ses parents alors, incarnés par Roschdy Zem et Chiara Mastroianni ?
Je n’avais pas vraiment d’idée au moment de l’écriture. Je pensais à Chiara Mastroianni car j’aime beaucoup cette actrice et elle est finalement assez rare dans le cinéma français. Pour le personnage du père, je me suis dirigé vers Roschdy car je trouve qu’il a un statut à part dans le cinéma, une épaisseur. Le couple m’apparaissait comme une évidence et je n’avais pas l’impression de les avoir déjà vus jouer des rôles comparables à ceux des parents dans La fille au bracelet.
Plus étonnant, vous avez confié le rôle du procureur à votre sœur, Anaïs…
Au début, j’étais parti sur un acteur d’une soixantaine d’années, qui en imposerait par son autorité et son expérience. Mais en allant assister à plusieurs procès au tribunal de Bobigny, je me suis aperçu que le procureur était très souvent une femme de trente ans. Je me suis renseigné et j’ai appris qu’il y avait une « crise de l’emploi » de la magistrature et c’est pourquoi ils recouraient très fréquemment à des substituts du procureur qui sortaient de l’école. De fait, ces jeunes femmes sont souvent plus royalistes que le roi car elles doivent prouver qu’elles sont à leur place. Dès lors, j’ai reconsidéré le rôle et j’ai vu tous les avantages qu’il y avait à le confier à une jeune femme. Et comme on filme bien ceux que l’on aime, je me suis tourné vers Anaïs. Là aussi, je me suis autorisé à le faire car on ne l’avait jamais vue dans ce registre.
Pour jouer le président du tribunal, vous avez choisi un avocat, Pascal-Pierre Garbarini…
C’est notre conseillère juridique qui m’a soufflé l’idée de Garbarini. Elle était sûre que ça l’intéresserait. Je l’ai rencontré, on s’est super bien entendu, et il s’est révélé d’une aide précieuse. Quand un comédien ou moi avions un doute sur le déroulement du procès ou l’attitude à adopter, il nous aiguillait. Il a été formidable. Sa personnalité irradiait et sa joie d’être là était communicative. C’est une rencontre qui m’a réjoui car c’est un homme qui est intelligent, sensible et généreux.
Où avez-vous tourné le procès ?
C’est une histoire contemporaine et je voulais m’éloigner des lustres et des boiseries qui encombrent l’imaginaire des films de procès. Je ne voulais pas non plus que l’action se déroule à Paris. Je préférais une ville de taille moyenne, suffisamment grande pour que le principe de l’anonymat existe, mais suffisamment petite pour qu’une affaire de cet ordre ait un gros retentissement. Et, avec l’aval de la chancellerie (qui veille à ce l’image de la Justice ne soit pas rendue de manière dégradante ou fallacieuse), nous avons eu l’autorisation du tribunal de Nantes dont le tribunal est l’œuvre de Jean Nouvel. Le fait de tourner dans un vrai tribunal agissait nécessairement sur l’expérience du tournage, en particulier pour les acteurs. Le principe de réalité n’est pas le même. Les figurants dans le tribunal n’avaient pas lu le scénario, et ils découvraient donc le procès au fur et à mesure. L’audience était partagée sur la culpabilité de Lise. Certains changeaient d’avis en cours de route, c’était drôle. C’était bon signe également, car je voulais que cette incertitude demeure à l’écran. C’est un film sur l’interprétation des faits, sur le doute.
Il faut dire que quand on pense rétrospectivement à la séquence d’ouverture, où Lise a une totale absence de réaction quand on l’arrête, on a des doutes sur son innocence…
C’est ce qui m’intéressait. Les protagonistes n’ont de cesse de se référer à des événements que l’on ne voit pas, tout se passe dans notre imaginaire. Sauf pour cette scène d’ouverture. Je voulais donner aux spectateurs les mêmes armes qu’au père pour décrypter cette arrestation.
La dernière séquence, où Lise accroche une chaînette à sa cheville, ouvre aussi à diverses interprétations…
C’est le point culminant du principe d’interprétation. Certains y voient un aveu de culpabilité, d’autres la marque indélébile d’une épreuve qui aura altéré la jeunesse de Lise, d’autres encore l’expression du souvenir de l’amie perdue. Moi, je trouve avant tout que cette image est belle et j’aime qu’elle nous surprenne. Je tenais à ce que le champ des possibles reste ouvert. On a eu accès à une vérité juridique, mais pas à la vérité primaire. A chacun de sortir de la salle avec son avis. Melissa m’a demandé, avant le tournage, si son personnage était coupable ou innocent. Je lui ai répondu que c’est elle qui décidait, et qu’elle ne me le dise jamais.
[Source : communiqué de presse]
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